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Un fleuve en fête

 Un siècle de Fêtes du Rhône entre Suisse et France

 


 

Nées dans le Sud de la France en 1926, puis gagnant peu à peu la Suisse et remontant le cours du Rhône jusqu’à Sierre à deux reprises, les Fêtes du Rhône rassemblaient dans la ville désignée des délégations de tout le bassin rhodanien. Festival et spectacles autour du fleuve agrémentaient un événement marqué par des rituels d’offrandes, des congrès scientifiques et des concours d’artistes.
Aujourd’hui largement oubliées, ces Fêtes ambitieuses et populaires ont drainé pourtant un large public et tissé un réseau de villes-sœurs intéressées par l’aménagement du fleuve.
À chaque moment des célébrations, le Rhône était le « roi de la fête». Mais pourquoi? Pourquoi cette centralité du cours d’eau?
L’exposition « Un fleuve en fête. Un siècle de Fêtes du Rhône entre Suisse et France ».proposait des pistes à explorer comme autant d’escales au bord du Rhône. Un fleuve mis en scène qui invite à découvrir les diverses facettes des festivités. Cette exposition était proposée par la Médiathèque Valais – Sion et les Archives de l’Etat du Valais aux Arsenaux entre août et octobre 2024, en marge des 35e Fêtes du Rhône organisées en Valais. La présente exposition virtuelle reprend l’essentiel du contenu des panneaux de cette exposition, mêlant textes explicatifs et photos d’archives.

Les Fêtes et le Valais

Il faut attendre plus de 20 ans après la création des premières Fêtes pour qu’une édition se déroule enfin en Valais, en 1948.

 

Char sur le thème de la candidature du Valais aux Jeux olympiques d’hiver de 1976, lors du cortège des Fêtes du Rhône de Sierre, 1969. (AEV, Zwissig, 8.11/22)

 

C’est en France qu’il faut aller chercher l’origine des Fêtes du Rhône. En 1926, pour commémorer le centenaire du premier pont suspendu traversant le fleuve, la ville de Tournon en organise la première édition.

Dans la foulée, l’organisateur des festivités, un éditeur de guides touristiques du nom de Gustave Toursier, fonde une association chargée de planifier  les futures célébrations et de pérenniser l’idée. L’Union Générale des Rhodaniens (UGR) était née.

En 1929, dans la foulée des Fêtes organisées à Genève – les premières en Suisse! – Gustave Toursier et quelques «rhodaniens» font un «pèlerinage au glacier du Rhône» (Le Nouvelliste, 13 juillet 1929) en compagnie du conseiller d’Etat valaisan Maurice Troillet.

À la suite de cette première rencontre, le canton décide de créer une section valaisanne de l’UGR (1933) et d’envoyer une délégation aux prochaines Fêtes, prévues à Marseille. Ils apporteront alors avec eux un peu de l’eau du glacier en offrande à la Méditerranée. C’est le début d’une longue relation…

1926    Tournon
1927    Lyon
1928    Avignon
1929    Genève
1930    Arles
1931    Valence
1933    Marseille
1934    Lausanne - Ouchy
1938    Aix-les-Bains
1946    Lausanne - Ouchy
1947    Nîmes
1948    Sierre
1949    Evian
1950    Avignon
1951    Vevey
1952    Valence
1953    Dijon
1954    Marseille
1956    Morges
1957    Annecy
1959    La Tour-de-Peilz
1960    Thonon-les-Bains
1961    Avignon
1964    Tain-Tournon
1965    Genève
1967    Valence
1969    Sierre
1971    Evian
1975    Avignon
1979    Lausanne - Ouchy
1984    Monthey
1987    Vevey
1997    Port-Valais - Le Bouveret
2000    Vaulx-en-Velin
2024    Sion - Viège - Monthey
Voir les Fêtes du Rhône

Presque oubliées de nos jours, les fêtes du Rhône ont durablement marqué la Suisse romande, et en particulier le Valais.

 

Spectacle de Joséphine Baker, donné à l’occasion du gala d’ouverture des Fêtes du Rhône de Sierre, 1969. (AEV, Zwissig 8.11/22 (34))

 

Lors des premières Fêtes valaisannes de Sierre, en 1948, très attendues dans le contexte maussade de l’après-guerre, c’était pour beaucoup la première occasion de voir des Français, et inversement. Arlésiens, Marseillais, Lyonnais, Sierrois et Genevois se rencontraient alors, entre admiration et étonnement.

La ville de Sierre accueille à nouveau les Fêtes en 1969. Dans la presse d’alors, les organisateurs avancent le chiffre de 50000 personnes présentes sur les trois jours de la manifestation. Lors de la soirée de gala, l’ensemble sierrois du New-Orleans Hot Club assure la première partie pour chauffer la salle avant la venue de la vedette: Joséphine Baker.

Pour l’édition de 1984, 80 groupes folkloriques et fanfares de France et de Suisse composent le cortège qui réunit 2700 défilants dans les rues de Monthey.

En 1997 à Port-Valais, les groupes de danse se produisent à bord d’embarcations pour un ballet avec spectacles pyrotechniques et feux d’artifices sur le Léman.

 

Feux d’artifice sur le lac Léman. (Photographie tirée de la brochure Fêtes du Rhône, Port-Valais – Le Bouveret, 1997: souvenirs)


«Comprenez, c’est une chose qui ne se raconte pas comme ça, ces fêtes, il faut les voir.»

Entretien avec Elie Zwissig, Souvenirs des Fêtes de 1948 (AEV, Aloys Theytaz)

Magie des rituels

À chaque édition des fêtes, quatre rituels étaient accomplis: l’offrande au Rhône, le défilé allégorique, la transmission de la bannière rhodanienne et la plantation de l’arbre de l’amitié.

 

La plantation de l’arbre de l’amitié rhodanienne. (Photographie tirée de la brochure Fêtes du Rhône, Port-Valais - Le Bouveret, 1997 : souvenirs)

 

Les organisateurs des fêtes imaginent tout un cérémonial ritualisé, avec ses symboles, ses objets sacrés, son autel symbolique, son drapeau, ses prières et son hymne.

La transmission de la bannière rhodanienne. (Bibliothèque de Genève, Centre d’Iconographie, fonds F.H. Jullien.)

 

Pour les anthropologues, la dramaturgie des rites développe chez le participant un lien affectif avec le Rhône, présenté comme une divinité.

L’offrande au Rhône. (Samuel Aegerter, Médiathèque Valais - Martigny)

 

Le «Dieu-Fleuve» est décrit comme le liant, le trait d’union de ce qui naît lors de la fête: une communauté regroupant tous les riverains du fleuve. La Rhodanie a son drapeau; elle prend vie aussi dans cet arbre animé par la diversité des sols rhodaniens. De la même manière, le cortège allégorique figure cet espace regroupant les vallées du Rhône suisse et française, chaque délégation urbaine s’unissant pour devenir un seul défilé, une communauté vivante, en marche.

 

Le défilé allégorique. (Treize Etoiles, Médiathèque Valais - Martigny)


«La plantation de l’arbre de l’amitié est une allégorie de l’union.»

Stéphanie Beauchêne, anthropologue.

Au-delà des Fêtes: L'Union Générale des Rhodaniens

La première édition des Fêtes du Rhône aboutit à la création d’une association chargée de l’organisation des manifestations durant tout le 20e siècle. Une belle revue accompagne et illustre ce mouvement.

 

Lettre de félicitations du comité de l’UGR pour la création de la section valaisanne, signée Louis Perret, secrétaire général adjoint de l’UGR (Valence, 23 octobre 1933). (AEV, 3510-4, 4.2.5)

 

Fondée en 1926, l’Union Générale des Rhodaniens (UGR) chapeaute les Fêtes: sélection de la ville hôte, création d’une affiche, organisation millimétrée des spectacles, des cortèges, etc. Avant chaque édition, l’association franco-suisse prépare en détail les célébrations. Mais l’UGR déploie d’autres activités.

Dès sa création, elle se définit comme une «Académie polytechnique». Réunissant les milieux industriels et scientifiques, elle organise des congrès, des colloques, et devient un espace de rencontres et d’échanges entre ingénieurs intéressés par les projets d’aménagement du fleuve.

À partir des années 1930, l’UGR regroupe également des gens de lettres avec le but de créer une «culture du Rhône» capable de rehausser le prestige du territoire rhodanien.

 



Pour présenter les diverses activités et la philosophie de l’association, l’Union publie une revue: L’Or du Rhône (1926-1987). En 1969, quelques numéros sont édités à Sierre, par la section valaisanne de l’UGR.

 

Tableau d’organisation des transports pour les groupes folkloriques français, lors des Fêtes du Rhône de Sierre (1969). (AEV, Zwissig, 1977/29, 8.11/10)

 

«Il n’y a rien de plus organisé qu’une fête.»

Emmanuelle Lallement, anthropologue.

Bouillon de culture

Tout au long de l’histoire des Fêtes du Rhône, les arts sont bien présents. Les Fêtes réunissent toutes sortes d’artistes avec l’ambition de créer une «culture du Rhône».

 

Affiche de l’exposition internationale 53 Peintres rhodaniens d’aujourd’hui à Sierre, lors des Fêtes du Rhône de 1969. (AEV, Zwissig, 8.11/19)

 

Puisant leur inspiration dans le cours d’eau, les peintres, sculpteurs et écrivains répondent à l’appel des Fêtes qui, pour mettre en valeur et développer les arts et les lettres rhodaniennes, proposent, à chaque édition, des concours artistiques, des expositions et des créations musicales et théâtrales. Les célébrations favorisent alors une production foisonnante et les artistes valaisans ne sont pas en reste: en 1969 par exemple, Corinna Bille et Maurice Chappaz obtiennent ensemble le premier prix littéraire.

Dans la littérature rhodanienne, le Rhône est toujours représenté vivant, actif. Il est une figure tutélaire, dispensateur de bienfaits (Chant de notre Rhône, Charles-Ferdinand Ramuz). Fleuve pacificateur et unificateur (Le Poème du Rhône, Frédéric Mistral), il est décrit comme le trait d’union des Latins de Suisse et de France. En 1948, les écrivains du Rhône fondent l’Académie Rhodanienne des Lettres, qui existe encore de nos jours.

Les festivités elles-mêmes sont des oeuvres d’art, des performances pour lesquelles on a souvent sollicité des metteurs en scène reconnus. Que ce soit lors des cortèges, des spectacles ou des jeux scéniques proposés, le théâtre est alors au service du Rhône; il le représente par les tenues, les couleurs, les mouvements des acteurs, et la mise en scène cherche à imprimer un mouvement vital au fleuve.

 

«Ils devaient éprouver ce bien-être infini, cette amitié, tout ce que je ressens dans les bois ou au bord du Rhône.»

La Fraise noire, Corinna Bille

Attention... Rhône en construction

Lors des congrès polytechniques accompagnant chaque édition, les ingénieurs rhodaniens imaginent des projets pour connecter l’Europe grâce au Rhône.

 

Lettre de l’UGR adressée aux autorités des cantons du Valais et de Genève, les invitant à participer activement à la commission officieuse « franco-suisse chargée d’étudier les moyens de protéger les eaux du Rhône et du Léman », établie en 1950 sous l’égide de l’UGR. (AEV 6810-1, 3.3.3.1)

 

À l’image des plans de construction du canal «Transhelvétique» devant relier le Rhin, le Rhône et le Danube, les traces de leurs travaux dévoilent une véritable utopie visant à amener la paix sur le continent en connectant, grâce au commerce fluvial, l’Europe du Nord à la Méditerranée.

En créant les Fêtes du Rhône, les organisateurs espéraient démocratiser les questions techniques liées au fleuve et souhaitaient rallier les opinions publiques à leur cause. Si ces projets n’aboutirent pas, les Fêtes ont néanmoins joué un rôle prépondérant dans l’aménagement du fleuve en créant un espace de discussion pour une gestion transnationale de l’eau.

Dans les années 1950, l’UGR est la première à se soucier de la santé du Rhône. Elle constitue une «commission officieuse franco-suisse» réunissant les responsables des services fédéraux des eaux ainsi que des délégués français, et rédige un projet de loi visant à changer la Constitution suisse pour mieux protéger le Rhône contre la pollution, manifestant un souci écologique précurseur.

 

« Et maintenant que veulent les initiateurs de ces fêtes, quel est leur souci, quelle réalisation pratique conçoivent-ils?

– Faire de Genève un port fluvial accédant à la Méditerranée, de même que Bâle est devenu le grand port suisse du Rhin.

– Hâter la réalisation du projet rendant le Rhône navigable.

Lorsque la Suisse possédera deux ports, l’un débouchant sur la mer du Nord, l’autre sur la Méditerranée, lorsque son système de navigation fluviale lui permettra d’avoir une jonction avec les eaux du Danube et l’Orient, elle deviendra le centre tripartite de l’Europe.»

Marcel Guinand, président de l’UGR, «La quatrième fête du Rhône», SBB Revue, 1929.

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